Hâfiz : le mot désigne au Tadjikistan le chanteur d’excellence, celui qui connaît, transmet et crée la tradition. Hâfiz, ce sont aussi quatre chanteurs polyinstrumentistes venus de différentes vallées du massif du Pamir – ce « Toit du monde » –, ayant réuni leurs savoirs et poèmes pour partager au mieux leur goût des musiques de leur région, le Badakhchan.
Héritiers d’écoles de tradition orale différentes, les sensibilités musicales de chacun se croisent sans s’effacer, tandis qu’ils échangent leurs instruments au gré des mélodies. Qu’il s’agisse de chants sacrés et rituels, de poèmes d’amour mystique persans ou de chansons de fêtes et de danse, la musique de Hâfiz fait ainsi rimer création et tradition. Les voix puissantes, sonores et célestes des chanteurs portent au-delà de leurs montagnes et chantent la destinée humaine, le falak, tout au long de cet ancien chemin de la Route de la Soie.
Nobovar Chanorov et Olimsho Nazarshoev sont tous deux originaires de Rushân. Le premier a été formé au chant panégyrique maddâh par son père, puis a découvert d’autres univers musicaux. À Douchanbe, Nobovar est aujourd’hui leader du réputé groupe pop Shams, qui se produit en fêtes de mariage et en concerts. Olimsho, lui, est resté à Rushân, où il enseigne la musique, tout en explorant avec bonheur les traditions musicales avoisinantes. Amis d’enfance, Nobovar et Olimsho aiment à se retrouver et à jouer pour le plaisir. Ils imaginent ainsi de nouvelles interprétations des poèmes qu’ils ont appris conjointement, entreprise dans laquelle les rejoint parfois Ghulomsho Safarov. D’abord autodidacte, Ghulomsho a puisé aux répertoires des grands musiciens du Pamir pour parfaire son jeu instrumental et vocal. Sa curiosité musicale l’a ainsi mené à découvrir les chansons des vallées du Darwâz, en particulier celles d’Abdullâh Nazri, le père d’Ismâ’il. Meilleur représentant de l’école de Qal’a-i Khumb, une cour anciennement rattachée à l’émirat de Boukhara, Ismâ’il est particulièrement reconnu pour son chant de ghazals lyriques et mystiques, qu’il mène sous forme de suites. À la nostalgie des chants plaintifs non-mesurés succèdent alors des chansons d’amour, menant finalement à la danse.
Ensemble, les quatre compères de Hâfiz donnent ainsi à entendre les traditions musicales de deux régions du Badakhchan, qui font aussi la part belle aux rythmes impairs et « boiteux », réputés pour leur complexité. Parfois, l’un improvise une variation mélodique sur un poème connu, que tous reprennent en chœur : l’entente naturelle et la création spontanée à laquelle nous assistons est née de savoirs ancrés et d’affinités musicales communes, renforcées par l’estime et l’amitié. Au-delà de leur parfaite maîtrise des étonnants luths, vièles, tambours, le parcours émotionnel auquel nous convie Hâfiz procède des liens qui les unissent. L’attachement est bien le maître mot : à leurs terres, à leurs poésies, mais aussi et surtout au don de ces dernières, dans une volonté d’ouverture, de plaisir et de liberté qui nous entraîne à coup sûr dans leur danse.
A.Z.